Dimanche 2 janvier 1916
Mort au champ d'honneur.
C'était vendredi 10 décembre dans la soirée aux environs de 4 h. Depuis plus de deux heures, l'ennemi arrose d'obus nos positions où j'étais arrivé vers 1 h comme infirmier et pour l'instant aumônier des batteries de tir. Je sortais, il y avait à peine 1/4 d'heure, de l'abri de la 1e pièce, où se tenait le camarade LOCTEAU, à qui j'ai même parlé à ce moment-là. Je venais de gagner mon souterrain, à 20 m à peu près, quand quelques instants après l'arrivée d'un obus, on annonce à côté un mort et deux blessés. Je cours et donne à la hâte l'absolution au cher LOCTEAU qui mourrait d'un éclat à la poitrine, on peut dire sur le coup, puisqu'il n'eut que le temps de dire en tombant " Je suis touché sérieusement ".
Ce fut sa dernière parole à ses camarades, il parlait déjà avec le bon Dieu qui l'appelait à lui.
Hier soir, sous nos abris, nous récitâmes le chapelet pour le repos de l'âme de notre ami. Ce matin vers 9 h après lui avoir remis au bras le chapelet qu'il portait sur lui, je procédai à sa sépulture, accompagné de ses chefs et de quelques camarades, rendant au cher défunt nos derniers devoirs.
Je connaissais peu Emile LOCTEAU, n'étant à la batterie que depuis le 27 octobre dernier mais je sais qu'il appartenait à une paroisse et à une famille chrétienne, qu'il laisse dans les larmes une bien bonne mère. Il avait fait le sacrifice de sa vie depuis longtemps, pour la France et l'avait souvent renouvelé. On me rappelait ce midi cette parole qu'il disait hier à ses camarades: " Après tout, la vie, c'est si peu de chose." Sans doute, il y a là la marque du courage français, mais surtout de la foi chrétienne que lui inspirait cette belle résignation. Il emporte les regrets de ses camarades, dont il avait l'estime et l'affection; il ne sera pas oublié.
Dites bien à sa vénérée mère toute la part que je prends à sa grande douleur. Son cher fils repose là tout près de nous je ne puis sortir sans voir sa tombe que va dominer la Croix, et où j'irai prier pour sa chère âme, au nom de sa mère et des siens, demandant en même temps pour tous le courage et la résignation.
L. MANCEAU, prêtre
|